The CJEU’s case law on direct taxation is now in its thirties. In this matter, which vastly remains within the competence of Member States, European law is increasingly relevant since the Court has decided to launch what can be called a “negative tax integration” limiting the possibility to exercise national sovereignty in the name of the protection of free movement and undistorted conditions of competition. Therefore, legal interpretation of primary law by the Court imposes growing legal constraints on the fiscal legislations of the Member States. This may arouse criticism, but it is undoubtedly no more than what the Court historically does when it comes to protecting fundamental freedoms of the Treaty. The recent case law, by the way, shows that the Court often takes into account justifications to fiscal restrictions invoked by Member States and examines them thoroughly.
I. Introduction. - Section A. L’esprit de la jurisprudence: “harmonisation négative”, peut-être, mais pas pour autant d’hétérodoxie dans l’interprétation par la Cour des libertés de circulation. - II. Des audaces jurisprudentielles. - III. … sans activisme aucun. - Section B. Mode opératoire de la Cour; des questions à chaque étape. - IV. Restriction, entrave, discrimination …: par où commencer? - V. Comparabilité: une deuxième étape indispensable. - VI. Les raisons impérieuses d’intérêt général: aller plus loin? - VII. Proportionnalité: faut-il maintenir “l’exception Marks & Spencer”? - VIII. Conclusion. - NOTE
A l’heure où nous écrivons ces lignes, le contentieux communautaire de la fiscalité directe vient de fêter ses trente ans, âge de son arrêt fondateur dans l’affaire dite de “l’avoir fiscal” [1] … La Cour avait alors posé les jalons essentiels du raisonnement qui fondera ensuite tout le contentieux de la fiscalité directe. Elle était saisie d’un recours en manquement de la Commission à la suite du refus de la France d’étendre le bénéfice d’une forme de crédit d’impôt aux succursales et agences de sociétés dont le siège social est établi dans un autre État membre. Ces établissements secondaires se trouvant cependant dans une situation objectivement comparable à celle des établissements secondaires dont le siège social est établi en France, la Cour a jugé que la liberté d’établissement s’opposait à ce que leurs bénéfices ne fussent pas imposés de la même manière. L’arrêt montre que les traités ne prévoient pas d’exception pour la matière fiscale. Celle-ci se voit appliquer la prohibition générale des entraves à la libre circulation. Ainsi, les mesures fiscales comptent parmi les “discriminations fondées sur la nationalité” et les “restrictions” interdites par les traités: “L’absence d’une harmonisation des dispositions législatives des États membres en matière d’impôts sur les sociétés ne peut pas justifier une discrimination opérée dans un État membre à l’encontre des succursales et agences des sociétés d’assurance ayant leur siège dans un autre État membre. S’il est vrai qu’en l’absence d’une telle harmonisation la situation fiscale d’une société dépend du droit national qui lui est appliqué, l’article [45 du TFUE] interdit à chaque État membre de prévoir dans sa législation, pour les personnes qui font usage de la liberté de s’y établir, des conditions d’exercice de leurs [continua ..]
Une partie de la doctrine universitaire emploie souvent, à propos de la jurisprudence communautaire en matière de fiscalité directe, l’expression d’“harmonisation négative”, en ce sens que la Cour procède prétoriennement à un encadrement communautaire de la compétence fiscale des États par le droit primaire de l’Union. Cela a donné lieu à des arrêts saillants, dont certains sont des “marqueurs” jurisprudentiels forts, dans des rubriques désormais récurrentes: imposition des particuliers, traitement des dividendes, traitement des pertes transfrontalières, régimes de groupes ... En matière d’imposition des particuliers, impossible de ne pas rappeler, tout d’abord, l’esprit d’innovation qui a présidé à la jurisprudence Schumacker. S’agissant des impôts directs, les résidents et les non-résidents ne sont, en règle générale, pas dans des situations comparables, dans la mesure où le revenu perçu sur le territoire d’un État membre par un non-résident ne constitue le plus souvent qu’une partie de son revenu global, perçu généralement sur le lieu de sa résidence, et que sa capacité contributive (résultant de la prise en compte de l’ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale) peut s’apprécier le plus aisément à l’endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux, ce qui correspond là encore, en général, à sa résidence habituelle. Le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier les non-résidents de certains avantages fiscaux qu’il accorde aux résidents n’est, dès lors et en règle générale, pas discriminatoire, compte-tenu des différences objectives entre la situation des résidents et celles des non-résidents, tant du point de vue de la source des revenus que de la capacité contributive ou de la situation personnelle et familiale. Toutefois, il peut y avoir discrimination au sens du Traité FUE entre résidents et non-résidents si, nonobstant leur [continua ..]
Comme une telle jurisprudence met en cause des pans entiers de certaines législations fiscales et impose souvent d’étendre des avantages fiscaux, ce qui a donc parfois un fort impact sur les finances publiques nationales, la Cour est régulièrement critiquée pour son “activisme”. En la matière, on dit souvent qu’elle se substituerait au législateur qui, il est vrai, est peu intervenu en raison de l’exigence d’unanimité au Conseil [22]. Ce type d’argumentation nous paraît tout à fait excessif. La Cour ne fait que prendre ses responsabilités, en la quasi-absence d’un droit dérivé pourtant si nécessaire dans un contexte de stratégies d’optimisation fiscale des multinationales et de concurrence au moins-disant fiscal qui, hélas, existe bel et bien en Europe. La meilleure preuve en est que, quand elle dispose d’une base juridique dans le droit dérivé, la Cour ne fait plus du tout d’“harmonisation négative”. Ainsi s’est présenté l’an dernier un cas de figure dans lequel la Cour a invalidé une règlementation fiscale à la lumière non pas du Traité mais du règlement 1408/71 [23]. Dans cette affaire de Ruyter [24], la Cour a confronté la législation française au droit dérivé, et jugé que le principe d’unicité de la législation sociale issu du règlement s’oppose à ce que la France soumette aux “prélèvements sociaux” les revenus du patrimoine d’un salarié affilié à la sécurité sociale d’un autre Etat membre. Point d’activisme, donc. Active, la Cour l’est (et avant tout parce que les juridictions nationales ou la Commission la saisissent), mais pas plus que dans n’importe quel autre domaine d’interprétation des libertés de circulation. On ne peut nier le caractère prétorien de l’encadrement de la fiscalité directe nationale, mais on ne peut que constater qu’une telle jurisprudence se situe parfaitement dans la ligne de la jurisprudence générale, fort bien établie, de la Cour, relative aux différentes libertés de [continua ..]
Le mode opératoire de la Cour dans ce genre d’affaires comporte, en principe, trois grandes étapes, qui emportent elles-mêmes des sous-questions: détermination de la liberté applicable et identification d’une restriction à celle-ci; vérification de la comparabilité des situations faisant l’objet d’un traitement différent; recherche de justifications proportionnées à la restriction [28]. La jurisprudence récente de la Cour montre que d’importantes questions se posent à chacune de ces étapes, dont une partie seulement a été résolue à ce jour. Une affaire jugée en 2015 a montré toute l’importance qui, nous semble-t-il, s’attache à ce que le premier temps du raisonnement soit l’identification précise d’une “restriction” en matière de fiscalité directe. L’arrêt du 10 juin 2015 X AB [29] montre qu’un désavantage fiscal lié à l’exercice de l’une des libertés fondamentales n’est pas nécessairement une entrave. Il existe, en effet, des situations dans lesquelles un tel désavantage est la conséquence inévitable de la coexistence de systèmes fiscaux nationaux disparates. Rappelons brièvement la configuration de cette affaire. Au titre de l’imposition des sociétés, le Royaume de Suède exonère, en principe, les plus-values sur «titres de participation» et, corrélativement, ne permet pas de déduire les moins-values que les sociétés peuvent subir. X AB, une société suédoise, a voulu liquider une filiale britannique dont les parts de société sont libellées en dollars américains. Or, elle s’est rendue compte qu’elle risquait, ce faisant, d’accuser une moins-value liée à l’évolution des taux de change entre la couronne suédoise et la livre sterling, c’est-à-dire, à une perte de change. S’est posée la question de savoir si la Suède pouvait, sans méconnaître le droit de l’Union, refuser la déduction d’une moins-value sur les titres de participation, même [continua ..]
De même qu’il peut ne pas y avoir de restriction-entrave, mais seulement des quasi-restrictions, de même il peut y avoir des restrictions qui s’appliquent à des situations non comparables, et qui ne sont donc pas incompatibles avec le droit de l’Union. Deux affaires récentes sont à cet égard topiques: X et Q [32]. L’Avocat général Juliane Kokott avait proposé de remettre en cause la condition de comparabilité des situations en matière fiscale dans ses conclusions sur l’affaire Nordea Bank [33]. En ne la suivant pas dans cette affaire, et en faisant une application négative de la comparabilité dans X et Q, la Cour semble avoir dit qu’elle ne saurait se passer de la comparabilité. A nos yeux, cette nécessité s’explique par le fait que le raisonnement suivi par la Cour pour l’identification d’une restriction fiscale présente une particularité. Dans le cas général, il suffit d’identifier une mesure qui rend plus difficile ou moins attrayant l’exercice d’une liberté fondamentale, pour cette simple raison qu’il faut partir du principe que, sur le marché intérieur, le lieu d’exercice de l’activité ne doit jouer aucun rôle. C’est le cas d’une règle nationale qui exige une autorisation pour exercer une activité: on constate nécessairement l’entrave et on vérifie si elle est justifiée, sans s’interroger sur la comparabilité des situations nationale et transfrontalière. Et pour cause, au regard de l’exercice de l’activité dans le marché intérieur, tous ceux qui l’exercent doivent par définition être considérés comme étant dans la même situation. En revanche, en matière fiscale, la situation est exactement inverse: la résidence peut valablement être prise en compte comme critère par les États membres [34]. Cela ne tient pas tant au fait qu’ils sont compétents en matière d’impôts qu’au fait que tel est le principe généralement reconnu et universellement appliqué. Le point de départ du raisonnement pour identifier [continua ..]
Si la Cour fait prévaloir l’égalité de traitement fiscal et encadre l’exercice par les Etats membres de leur compétence fiscale, elle admet que certaines restrictions puissent être justifiées. Une des spécificités du contentieux fiscal de l’Union tient au fait que ces justifications procèdent, plus que dans d’autres domaines d’application des libertés de circulation, des “raisons impérieuses d’intérêt général”. Ces motifs, dégagés prétoriennement, en sus des justifications aux discriminations classiquement mentionnées par le traité (ordre public, sécurité publique et santé publique, hypothèses propres à la liberté de circulation des capitaux) se sont avérées nécessaires eu égard à la nature essentiellement économique du contentieux fiscal et de la compétence de principe des États membres. Même en présence d’une justification admissible, il faut encore que la restriction soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Sans prétendre à l’exhaustivité, la Cour a reconnu comme raisons impérieuses d’intérêt général propres au domaine fiscal: «l’efficacité des contrôles fiscaux» [39], la «lutte contre les montages purement artificiels [40]», la «cohérence du système fiscal national [41]» et le «maintien d’une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre États membres [42]». Elle a, à l’inverse, refusé d’ériger au rang de raison impérieuse d’intérêt général des justifications tirées, notamment, de la situation économique de l’État membre concerné [43], de la perte de recettes fiscales [44], du risque d’évasion fiscale (en-dehors de la lutte contre les montages purement artificiels) [45], ou de la faible importance de la restriction [46]. Plusieurs pistes de [continua ..]
Même lorsque la restriction aux libertés de circulation est considérée comme justifiée au regard, notamment, d’une raison impérieuse d’intérêt général, encore doit-elle être propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle vise à atteindre et ne pas aller au-delà de la mise eu œuvre ce qui est nécessaire pour cela. L’arrêt National Grid Indus [56] est très illustratif de de la mise eu œuvre ce raisonnement, qui implique souvent une délicate pesée de la part de la Cour. Cette affaire portait sur la taxation des plus-values latentes afférentes à des éléments du patrimoine d’une société opérant un transfert de son siège de direction effective d’un État membre vers un autre. La Cour a estimé que la fixation définitive, au moment du transfert, du montant de l’imposition desdites plus-values, était justifiée par la raison impérieuse d’intérêt général liée à la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition. Elle a toutefois jugé que le recouvrement immédiat de l’impôt ne répondait pas aux exigences de proportionnalité dans la mesure où auraient pu exister d’autre mesures «moins attentatoires aux libertés de circulation» (point 73). Les prochains mois diront si cette jurisprudence, qui a été confirmée à l’occasion d’un recours en manquement contre l’Espagne [57], sera transposée à l’imposition des personnes physiques puisque la question se pose dans l’affaire pendante Commission/ Portugal [58]. Sur la question de la proportionnalité, peut-il exister une présomption? C’est un peu ce qu’a semblé dire l’arrêt Marks&Spencer [59]. Aux points 55 et 56 de cet arrêt, la grande chambre avait jugé qu’une mesure restreignant la déductibilité des pertes d’une filiale non-résidente (alors que cette déductibilité est permise dans une situation purement interne) est disproportionnée dans une situation [continua ..]
En guise de conclusion, il nous paraît utile d’évoquer brièvement le lien entre contentieux fiscal et contentieux des aides d’État [66]. C’est à notre sens un vrai chantier d’avenir, notamment au vu de l’arrêt rendu fin 2015 dans l’affaire Finanzamt Linz [67]. À première vue, il s’agissait d’une affaire classique sur la portée d’une liberté de circulation. Une disposition du droit autrichien permet de tenir compte de la “valeur commerciale” en ce qu’elle autorise son amortissement par les sociétés qui acquièrent des participations dans une autre société. Or, cette possibilité est limitée aux participations de sociétés résidentes, ce qui crée une différence de traitement fiscal au détriment des sociétés mères qui investissent dans des sociétés non-résidentes. En outre, au regard de l’objectif poursuivi par la législation autrichienne (l’incitation à constituer des groupes de sociétés), les situations sont comparables. Ainsi, il s’agit là d’une règle incompatible avec la liberté d’établissement. Mais l’arrêt est surtout intéressant en ce qu’il ne dit pas – ou qu’il dit très vite. En effet, la Cour a choisi de déclarer irrecevable la première question de la juridiction de renvoi, porteuse d’enjeux juridiques indéniables comme le montrent parfaitement les conclusions de Mme l’Avocat général Kokott. Il s’agissait d’apprécier la compatibilité de la législation autrichienne en cause avec la règlementation des aides d’Etat (artt. 107 et 108, par. 3 TFUE), dès lors que l’avantage fiscal en cause pourrait être regardé comme favorisant certaines entreprises nationales. Cette question ouvrait la porte à de délicats questionnements jurisprudentiels sur la manière de définir la “sélectivité” caractérisant une aide d’État lorsqu’elle revêt une forme fiscale (question sur laquelle le Tribunal de l’Union s’est récemment [continua ..]